DETRESSE COMMUNE

La flèche maudite terrassait jadis le plus grand des oiseaux
Un vieux marin sans doute pour chasser son ennui
Et c’était la beauté que l’on visait
Car l’homme ne supporte pas ce qui est beau
A fortiori ce qui le dépasse
Et dénonce sa tragique condition

Je parle d’un temps aventureux
Où les populations d’albatros rivalisaient de fécondité
Avec les manchots du pôle austral
Et où le solitaire qui se serait égaré
Eût été pris de panique
Face à l’ampleur délirante du nombre

Je parle des temps bénis où le ciel éternellement bleu
Offrait aux ailes de ce géant des mers
Un peu de son infinitude
Des temps sacrés enfin où les mers définitivement riches
Fournissaient à foison des poissons aux chairs fiables
Que la Nature offrait dans sa sempiternelle largesse

Je regrette ce vieillard qui paya au prix fort la gravité de son acte
L’homme a tout ramené à des proportions qu’il croit justes
Celles des grains de chapelet en perles de bois et tant chargés d’épreuves
Celles des colonnes des temples royaux entre deux pistes de steppe
Celles des tours aux bas-reliefs où se barattent les océans de lait
Quand il n’est que terre mouillée avec une vague envie en tête

L’homme toujours l’homme et son désir de conquête
Il s’est même octroyé la figure de l’albatros
Mais ce fut la goutte de trop dans l’océan des outrances
C’est lui qui se sent à présent menacé
Et ne sait plus à quel saint se vouer
Ni sur quelle nef se poser

Ce n’est pourtant pas un dieu qui manie l’arc de vengeance
On peut toujours remédier à l’irrémédiable
Il suffit d’un peu de compassion pour soi-même
Le roi du monde et le prince d’azur ont leur destin lié
C’est noblesse de l’artiste que d’y prêter son art
C’est noblesse du poète que d’y prêter sa plume

(pour Dominique Lonchampt)