CEDRIC DE BATZ A LA SALAMANDRE
La vision que les artistes citationnistes se font de l’Histoire de l’art est souvent à courte vue ; un peu de Renaissance par ci, un peu de Manet ou Cézanne par là, beaucoup de Matisse et de couleurs d’un côté, ou de Marcel Duchamp et de post dadaïsme de l’autre - et l’on se constitue une culture a minima. Rares sont ceux qui osent s’aventurer pourtant vers le Génie, pour parler comme Chateaubriand, du Christianisme au Moyen-Age, dont la Renaissance précisément hérite tout en s’en démarquant, comme on refoule l’héritage parental voire ancestral pour trouver sa personnalité propre. Cédric de Batz y revient pourtant, qu’il s’agisse de la forme (ses sortes de sculptures murales qui tiennent à la fois à la fois de la conque à eau bénite, de l’ex-voto et du retable) ou du fond (l’inspiration religieuse est ouvertement revendiquée, mais comme référence culturelle et symbolique, avec son pendant ésotérique, et ses arcanes à déchiffrer). Cédric de Batz semble avoir en effet trouvé dans l’art du Moyen Age, moins spécialisé que celui des siècles qui nous sont plus proches, une résolution aux deux activités qui le fédèrent en tant qu’artiste : la sculpture et la peinture. La sculpture avec son attirance vers le bas, la gravité et donc quelque peu la terre et son sous-bassement chthonien (d’où son intérêt pour l’enfer), et inversement la peinture en tant qu’elle nous amène à regarder vers le haut, à sublimer, à spiritualiser le regard (d’où évidemment les thèmes célestes). Ainsi Cédric de Batz produit-il à la fois des objets muraux peints, et des peintures qui se jouent précisément de la gravité en se détachant des lois physiques de la nature. On est dans l’hybride, dans le presque identifiable et dans le pas tout à fait nommable. C’est que l’art du Moyen Age n’est pas rationnel, encore moins perspectiviste. Le retrouver de nos jours c’est en quelque sorte plonger au cœur du refoulé ; c’est réhabiliter des formes de pensée et de technique (et de pensée prenant forme par le truchement de la technique) où s’enracine pourtant ce que nous appelons modernité (et tout ce qui s’ensuit). Nous avons sans doute beaucoup à apprendre du graphisme médiéval comme nous avons beaucoup à réfléchir sur la symbolique de l’architecture qui est, selon Hugo, l’autre livre, de pierre celui-là, de l’Humanité. D’autant que l’être humain sera toujours déchiré par ces deux forces antagonistes et qui créent en lui des tensions : celles qui nous poussent à jouir des plaisirs terrestres, celles qui nous poussent à prendre du recul et à les sublimer, à les métamorphoser en art. Ce sont ces tensions que cherche à résoudre Cédric de Batz sur le plan graphique, pictural mais aussi objectal, au bout du compte sculptural et architectural. Il y a en effet quelque chose qui le rapprocherait de l’art des compagnons, et leur capacité à concevoir des prouesses oblatives, en l’hommage sans doute du Créateur, mais aussi en hommage à cet incroyable créateur qu’est l’homme. Encore un rapport de tension donc entre deux univers antagonistes. En fait je me demande s’il ne cherche pas, à sa manière, à trouver le dénominateur commun qui unirait tous ces métiers : celui qui favoriserait l’émergence de la pensée, sous les effets du sel de la terre. La pierre philosophale en quelque sorte, belle métaphore du processus de création ou de re-création. Et rappelons que la Salamandre est une ancienne chapelle où les prouesses de Cédric de Batz trouveront aisément leur place, entre tradition et actualité de l’art. BTN
Du 27 mai au 1 juin, Chapelle de la Salamandre, 30000 Nîmes. 3, place de la Salamandre, 0466762390
MICHAEL VIALA A VASISTAS
Michael Viala n’est plus un inconnu dans notre région puisqu’il a déjà exposé chez Pannetier, à la Vigie, Carré Ste Anne, chez Vasistas ou désigné plus récemment un parcours possible, au sol, à travers le Musée de Sérignan. Ses réflexions sur le skate lui font créer des sculptures inspirées par cette activité qui a pour principal intérêt plastique de dessiner l’itinéraire précis des grandes lignes architecturales d’un espace urbain, de ses défauts et de ses obstacles. En règle générale il choisit la courbe comme moyen de contrecarrer la suprématie de l’angle droit. Ses volumes privilégient l’arrondi, ses habillages muraux glissent du mur au sol en bombant le matériau souple dont il se sert. Quant à ses dessins, jusqu’à présent en noir et blanc, ils privilégient donc les formes rondes ou incurvées dans une division assez radicale de la surface. Les petits formats présentés à Vasistas recourent, encore une fois, à cet arrondissement général des lignes. D’abord dans des travaux minutieux qui imitent la surface d’un vinyle sans le moindre accroc et laissent une plage circulaire vacante, tel un troublant trou blanc parmi les ondulations concentriques d’un univers en expansion. Le noir et le violet, à l’extrémité de la gamme, sont sollicités et c’est le même geste répété à l’excès qui sature la surface colorée à l’aide probable d’un compas. Ensuite dans des dessins en noir et blanc, ce dernier d’ailleurs, à l’instar des cercles précédents, émanant de la surface vierge. Mais la circularité, la rotation, peut être suggérée autrement : Michael Viala propose trois séries quadrangulaires de dessins de modeste format au feutre qui traversent la surface carrée à partir de dizaines de modulations colorées. Soit en recourant à des formes circulaires, soit triangulaires soit rectangulaires émanant de la division du carré. L’artiste utilise des outils requis à la manière d’un architecte ou dessinateur industriel et, à partir d’une couleur neutre, multiplie les couches sur chaque ligne de manière à obtenir le maximum de richesse colorée. Ainsi donne-t-il en quelque sorte de la couleur à la ville dont il a au préalable arrondi les angles. Or la présentation murale de chacune des variations singulières aboutit à une rotation, ce qui fait que l’on quitte aisément l’angle droit et ses lignes urbaines encore ici. Dans certains dessins c’est l’horizontale qui domine et l’œuvre acquiert alors une véritable dimension picturale. Cette dernière s’intègre à l’architecture d’un lieu qui lui-même s’inscrit dans l’espace urbain. Ainsi cette œuvre, dont la rampe de lancement s’articule autour d’une réflexion sur la ville à partir du skate afin s’aboutir au dessin, rejoint-elle la ville à partir de ce même dessin. Et puis il y a ces œuvres de petits formats bricolés à partir de photographies saisies sur le net et renvoyant aux anneaux de Saturne. Par le biais de répétitions de formes, par l’essor d’un mouvement rotatif on se rend compte que Michael Viala poursuit sa réflexion qui a pour assise la terre, notamment le macadam urbain, et la pousse vers des voies insoupçonnées, sollicitant davantage la cosmogonie ou la science microscopique de pointe. De toute façon, qu’il s’escrime à répéter incessamment un geste tourbillonnaire, qu’il se serve d’une rampe de skate comme d’un modèle d’élan vers le vertige, ou qu’il porte ses recherches du côté du plus profond des cieux, Michael Viala reste toujours les pieds sur terre. C’est le principe même de l’équilibriste ou du casse-cou : s’imposer des règles strictes pour pouvoir s’envoler et retomber au bon endroit, sans se casser le cou, précisément. BTN
Jusqu’au 30 avril, Vasistas, 37, avenue Bouisson-Bertrand 34090 Montpellier. 0675491958
TTY A BOITE NOIRE (MONTPELLIER)
Bon avouons-le tout net, des images photographiques on n’en voit beaucoup, des artistiques ou des documentaires, ou des documentaires qui se veulent artistiques. Un peu normal : la photo prend sa revanche sur la peinture notamment, que l’on a toujours considéré comme noble et supérieure. Mais on finit par en être saturés d’autant que beaucoup se ressemblent, traitent des mêmes sujets et puis la photo a pour inconvénient son format, sa texture, sa facture. Aussi est-on agréablement surpris quand certains d’entre elles tranchent sur la production générale et ambiante. C’est le cas pour les propositions de l’énigmatique TTY. Ses photographies en noir et blanc visent à déréaliser la réalité. On est même dans une re-création de type anticipatoire. Qu’il s’agisse de portraits universels, résolument synthétiques et numériques, sans corps ni volonté d’achèvement, ou qu’il s‘agisse de bouquets de fleurs improbables, sans vase ni support. Dans les deux cas c’est la lumière qui éclate au grand jour, si l’on peut dire de ces manipulations que l’on suppose préalables et qui relèvent de paramètres mathématiques plus ou moins dosés. Les photos de TTY nous projettent dans un avenir tel que l’imagine le présent, dans un virtuel qui ne s’origine du réel que pour mieux le transformer, l’idéaliser, le sublimer. TTY propose d’ailleurs également une ville imaginaire que l’on dirait cristalline. Dans le même ordre d’idée les portraits et bouquets paraissent d’albâtre et pourtant ils donnent une impression de vie. Il y a du docteur Frankenstein chez TTY mais qui ne se serait pas trompé dans ses calculs et qui aurait choisi de fabriquer la vie à partir de la vie plutôt que de la mort. Son exaltation du corps anorexique, outre que l’on ne saurait lui dénier une certaine beauté liée à la pureté des lignes et au fait que le corps semble huilé ou ambré comme avant une exhibition plus musclée, peut s’interpréter de deux manières : soit il pousse la logique de la minceur mannequine jusqu’en ces derniers retranchements et il prévoit à quoi peut aboutir la fascination exclusive pour la minceur absolue, soit il montre que la proximité de la mort n’est pas dénuée d’esthétisme. Toujours-est-il que ces poses affermies sonnent comme la revendication d’un renouveau en matière esthétique. Après tout n’avons-nous pas Giacometti en sculpture pour nous émouvoir ? Enfin il y est question d’œuvre au noir comme on parle de chambre noire. L’idéal serait de ressusciter l’espèce humaine et de la rendre parfaite, utopie que les logiciels et moyens informatique actuels nous permettent de supposer. Mais qui en voit que cette option n’est qu’un prétexte : l’œuvre au noir c’est bel et bien la photographie même, forcée d’œuvrer dans l’obscurité de l’alchimie numérique pour nous proposer des images d’une pureté rarement égalée, une sorte d’élixir iconique de longue vie, un équivalent visuel de la pierre philosophale. Dont la photo serait sinon la préfiguration, du moins l’annonciation, titre de l’expo. BTN
Jusqu’au 11 juin, galerie Boîte noire, 1, rue de la Carbonnerie, 34000 Montpellier 0467662587
SAMUEL RICHARDOT AU FRAC L.R-
Que de jeunes artistes décalés continuent de s’exprimer en peinture malgré l’hostilité ambiante, voilà qui interpelle, laisse augurer de profonds changements de mentalité et au fond prouve qu’une vision de l’art contemporain satisfait tout le monde. Toujours est-il que Samuel Richardot en remet une couche, si l’on peut dire, même si l’on sent chez lui une volonté de reconstruire par le menu, c’est-à-dire à petits pas. Soit il choisit le tableau, soit il choisit une installation mais qui n’est pas si éloignée du support mural, simplement certaines expériences qui nécessitent plus d’espace, plus de monumentalité et tout simplement le passage au volume. Dans les tableaux assez imposants, puisque d’envergure sur-corporelle ou surhumaine si l’on peut dire, quelques éléments sont repérables qui affleurent en surface. Ils sont à la fois allusifs et jamais tout à fait identifiables, relevant de thématiques somme toute assez courante en l’Histoire de l’art : « la paysagéité », la tentation du portrait, ce qui renvoie au langage du corps y compris organique, la matérialité des éléments constitutifs de la peinture. On est donc dans une tradition mais totalement renouvelée car Samuel Richardot ne retient d’une proto-forme ou d’une néo-figure que la pointe métonymique de l’iceberg. La surface est laissée vierge et, ça et là, quelques signes visuels émergent, dont il reste à définir les relations qui les lient et qui peuvent être d’accord ou d’exclusion. Un peu comme Miles Davis ne délivre les sons qu’avec mesure, ou comme la poésie moderne met en exergue la parole en archipel, Stéphane Ricardot est économe de moyens mais, à la manière d’un rébus, ses propositions ne manquent pas d’intriguer, d’autant que chaque toile est composée, construite donc, ce qui ne va pas sans susciter des effets de sens, sans recours à une tridimensionnalité illusoire. Nous sommes ainsi conviés à une sorte de jeu de déchiffrage, un jeu qui met en jeu la mémoire visuelle du peintre, laquelle émerge de la surface immaculée comme une petite île d’un vaste océan. Une mémoire sélective traduite dans un langage de formes et de graphisme coloré, qui met sur un même plan des espaces et des temps différenciés. C’est sans doute le privilège de la peinture que de figurer l’inconcevable : quelques parties d’un tout sauvées de l’effacement mémoriel et sensible. Sur des formats plus modestes un seul signe visuel est traité à la fois, selon la facture qui s’impose. Dans les sortes d’estrades, de grande dimension, qu’il érige dans les lieux investis Stéphane Ricardot n’hésite pas à recourir à des objets, du moins à des parties d’objets, posée à même le support et qui accentuent la planéité de la surface à couvrir. Il utilise ainsi beaucoup des découpages renvoyant à des signes empruntés aux arts visuels (pub, bd, photos), des découpages de papier et de carton comme dans la pure tradition matissienne ; mais alors que pour Matisse ce recours était en quelque sorte l’achèvement d’une carrière bien remplie, pour Richardot elle n’en est que le commencement, et semble donc placée pour l’instant sous le signe de l’inachèvement. C’est donc avec curiosité qu’il faudra suivre le parcours de cet artiste qui se moque bien du clivage ancestral abstraction/figuration, qui recourt à la géométrie comme un cas particulier du langage universel de la peinture et cherche au fond une sorte d’art total, qui relèverait d’un peu toutes les disciplines plastiques. Mais dont la peinture servirait de point de départ, de racine en quête d’une arborescence en voie de constitution, et qu’il est bien trop tôt pour qu’on ait des chances de la voir s’achever. BTN
Jusqu’au 7 mai, FRAC L-R, 4, rue Rambaud, 0499742035