AURORE VALADE
COLLIOURE (PO)
C’est une belle surprise que nous fait le musée de Collioure en organisant cette exposition d’une toute jeune femme promue d’ores et déjà à un brillant avenir si l’on en juge par sa fulgurante ascension. Et c’est vrai que son art de la mise en scène a de quoi séduire et surprendre. Utilisant la lumière et la couleur avec une maîtrise étonnante, Aurore Valade attend de ses modèles qu’ils prennent une pose que l’on pourrait dire picturale, selon les lois du genre, si justement elle n’était pas devenue également l’apanage de la photographie d’art. Ce sont surtout les scènes d’intérieurs qui frappent par leur justesse, le contraste entre l’attitude complaisante des modèles et le décor d’après-séisme dans lequel ils évoluent, comme si de rien n’était, suscitant une atmosphère proche de ceux que d’autres ont appelé, à juste titre : Une inquiétante étrangeté. Le désordre est en effet maîtrisé, l’image se voyant sursaturée de formes et de plans que le regard, adressé à l’appareil, redresse. Comme si la vocation de la photographie était de mettre de l’ordre par le regard au chaos du monde ambiant. Et puis, à la manière dont sont disposés les objets dans les espaces intimes où vivent les êtres saisis par l’objectif, on comprend qu’ils incarnent à la fois ces êtres mais également l’extérieur dont ils proviennent, renouant ainsi avec la tradition du portrait macrocosmique, tel ceux de Holbein par exemple. Aurore Valade, qui a obtenu le prix Collioure, s’est également imprégnée de l’ambiance estivale pour composer des scènes décontractées de familles unies, du moins c’est l’impression que donnerait la photo si elle était par exemple de style publicitaire, écueil qu’évite l’artiste en donnant sciemment dans le désordre objectivé. On signalera aussi la série des portraits de profils, dans les « tondos » notamment, dont la pose hiératique et conventionnelle tranche avec le fond maritime sur lequel ils se détachent et qui donnent une touche temporelle à un profil qui semble poser, à l’instar de ceux de la Renaissance, pour la postérité. Non sans humour ni ironie s’entend car nous n’avons pas affaire, à de rares exceptions près, à des personnalités connues. C’est qu’en effet le peuple a remplacé les puissants, l’environnement au quotidien l’ordonnancement aristocrate et bourgeois, les plaisirs des petites gens, les prétentions des plus riches. Dans les scènes d’intérieur, d’un format d’ailleurs intimiste, les éléments décoratifs sont mis en exergue, ainsi que les harmoniques colorées. Cela produit un rythme et des effets de mouvement, comme dans la peinture baroque, dont l’artiste s’ingénie à reproduire les compositions déliées. Bien sûr les clins d’œil à l’histoire d’l’art sont légion, peut-être aussi au travail photographique de Patrick Faigenbaum et ses vieilles familles italiennes, dont elle semble l’exacte antithèse. Pour « Sempervivum decorum », série de plantes sur fond nocturne, Aurore Valade a eu la bonne idée de photographier des plantes exotiques, en souvenir et en écho à celles du jardin extérieur de la villa Pams. Preuve qu’elle excelle dans tous les genres, y compris dans la nature « morte ». L’une des plus intéressantes expositions de cet automne assurément. BTN
Jusqu’au 4 janvier 2009, Musée d’Art Moderne, Route de Port-Vendres, 66190 Collioure, 04.68.82.10.19
IDA TURSIC et WILFRIED MILLE
Musée de Sérignan (Hérault)
Drôle de couple, une (ex) yougoslave et un picard, adopté par la capitale de la Bourgogne, qui expose en ce moment à Sérignan, et qui offre à l’entrée des lunettes 3D comme dans les futuroscopes et autres lieux expérimentateurs de l’image en relief. C’est dire si dans cette exposition peu commune le public sera sollicité. Le caractère ludique est garanti et on serait enclin de dire que cela ravira grands et petits, sauf que les artistes n’hésitent pas à peindre en grand format des pin-up plus ou moins dénudées, puisées dans toutes les banques de données iconiques virtuellement concevables, en noir et blanc ou en couleurs. Certaines sont arrachées à des revues et peintes avec la déchirure latérale voire en tenant compte des altérations du papier. D’autres, toujours plus ou moins érotiques, sont empruntées à Harold Loyd et gravées selon un procédé actuel qui conserve l’expérience de la 3D. La peinture s’offre ainsi au désir de voir ça, envers du désir de savoir, comme une beauté s’offre à l’érotisme public. Il y a sans doute une volonté de ces artistes de rivaliser avec la tradition du genre. Ceci dit l’image est notamment l’image publicitaire rendue ainsi comme à une nouvelle vie n’est pas la seule source d’inspiration du duo. Les motifs abstraits suscitent des réactions virtuelles propres à faire tourner la tête à nos regards perturbés dans leurs repères usuels. Ils exposent par ailleurs les feuilles de tests agrandies et imprimées, obtenant alors des taches de couleurs assez fortuites, ce qui montre l’éventail de leur inspiration : de la plus grande précision maîtrisée dans la figure à la plus grande indétermination revendiquée et récupérée comme telle, en passant par des expériences optiques plus abstraites. La série des « incendies » ponctue cette exposition de manière incandescente. Ainsi c’est l’histoire de la peinture moderne qui se trouve revisitée et personnalisée, celle aussi de la peinture tout court, de l’émergence du visible à la codification générique. Les deux artistes n’hésitent pas en effet à fournir aux visiteurs les secrets de leur palette, ou du mélange monochrome des couleurs utilisées dans leurs tableaux. Ajoutons à cela dessins et surtout cette photo de l’envers du décor d’Hollywood, qui montre bien la volonté des deux peintres d’insister sur l’autre côté de l’image, et donc sur les dessous de la peinture.
Invitée d’honneur, la suédoise Annika Larsson filme deux hommes et un chien, sur fond improbable, comme si l’on attendait quelque chose d’eux, ou comme si eux-mêmes attendaient quelque chose, peut-être de devenir les protagonistes d’une image en mouvement , ce que leur permet, sans doute à leur insu, l’œuvre de l’artiste. La manière de filmer, souvent en contre-plongée, le cadrage de l’image, serré produit un effet de tension en contradiction avec la source d’inspiration qui semble être l’image publicitaire des mannequins masculins, avec ici quelques allusions aux rapports qui pourraient les unir. Et qui conservent leur mystère. BTN
Jusqu’au 4 janvier, 146 avenue de la plage, 34410 Sérignan 0467323305. Ensuite, Dominique Figarella et une nouvelle présentation de la collection.
JEAN-LUC MOULENE
CARRE D’ART
C’est avec curiosité que l’on suivra l’exposition conçu pour la Carré d’art par Jean-Luc Moulène, l’un des praticiens du tableau photographique (mais aussi du dessin comme cet os bleu très phallique ou de l’objet) les plus en vue de ces quinze dernières années. On se souvient en particulier de ses « Filles d’Amsterdam » où il photographiait des prostituées exhibant leur « qu’on dit petite » vertu sur le même plan que leur visage, connectant ainsi le code spécifique du portrait en pied à celui de l’imagerie pornographique. C’était en même temps souligner l’implication de l’économique (ces filles se vendent et vendent en l’occurrence leur image) dans le plus vieux métier du monde, que l’on peut comparer à ce qu’est devenu l’artiste depuis qu’il en se contente plus de sublimer les passions archaïques de l’homme social mais qu’il vit à ses dépens ou dans l’obligation lui aussi de vendre son talent et son corps – puisque corps de photographe il y a dans la prise ou l’angle de vue. On se souvient également de sa façon dans une série plus politique encore montrant des objets que les ouvriers fabriquent en quelque sorte pour contester le produit qu’ils sont censés confectionner en parodiant les codes du marketing et de la publicité. N’est-ce pas l’apanage d l’artiste que de s’inspirer des codes qui forment la doxa, iconique en l’occurrence, pour les conduire au paradoxe, à la contestation ou au détournement à son profit ? Enfin ses gros plans sur des produits renvoyant au peuple palestinien prouvent que l’artiste se préoccupe des problèmes du monde dans lequel il s’implique et est à même de dénicher des motifs là où on ne les eût point soupçonnés, tout en se fournissant également un groupement thématique cohérent. C’est d’ailleurs une sorte de marque de fabrique de la part de Jean-Luc Moulène que de s’approprier les codes en vigueur dans la peinture ou la photographie et de les détourner à son usage, pour nous les restituer, problématiques et porteurs de sens. Nous y reviendrons plus en détail dans notre prochain numéro d’autant que l’artiste a conçu son occupation sur une binarité tant sur le plan du contenu (de l’existentiel au social) que de la facture (du noir et blanc à la couleur). Des réussites comme cette femme enceinte prenant la pose traditionnelle du sphinx sur fond neutre, cet être encapuchonné et qui peut très bien représenter l’allégorie contemporaine de la « faucheuse » parmi la campagne, ces cathédrales étrangement cadrées et qui rappellent celles de Monet revues et corrigées par l’appareil photographique, cette « main rouge » qui nous fait un signe inquiétant… En attendant, jusqu’au 4 janvier, vous pouvez voir les tableaux de Thomas Huber, à même de vous donner le vertige puisqu’ils sont fascinés par l’extériorité muséale qui les soutient, et qui jonglent habilement entre une figuration stylisée et une abstraction à laquelle les multiples motifs décoratifs qui meublent notre environnement nous ont habitués mais qui nous surprennent quand nous les découvrons sur la toile. BTN
Du 28 janvier jusqu’au 3 mai, Carré d’art, place de la maison carrée, Nîmes, 0466763577
AFINIDADES ELECTIVAS
CRAC (SETE)
Dernière minute. Fidèle à sa vocation de susciter des rencontres et des confrontations d’une part, d’ouvrir le port de Sète à l’international d’autre part, le Crac a invité l’artiste Miquel Mont, catalan d’origine, à présenter quelques uns de ses travaux picturaux mais sous forme de dialogue avec des confrères choisis par affinités électives, comme l’a si bien écrit Goethe. Cet artiste tient en règle générale compte de la spécificité du lieu dans le quel il intervient, au point de transformer l’architecture en objet-peinture, à la manière d’un Buren chez nous pour y placer des œuvres qui interrogent les conditions et les limites de la peinture. Ainsi ses œuvres interrogent-elles la notion de cadre, lorgnent-elles du côté de la tridimensionnalité, et requièrent-elles la participation active du spectateur. L’effet visuel pourrait être apparenté au minimal si ce concept ne désignait pas un mouvement historiquement situé, un peu pour nous aussi à Supports- Surfaces mais sans esprit de système, au contraire, il semble que Miquel Mont se plaise à multiplier les expérimentations murales, le support mural justement jouant un grand rôle dans ses propositions en lesquelles le vide fait souvent le plein. Toujours est-il que les artistes qu’il a invités prouvent qu’il s’intéresse aux nouveaux médias ainsi que le prouve la présence de Yann Beauvais, à la photographie contemporaine (Marylène Négro), au rapport du mur et du sol (Emmanuelle Villard ou Antonio Hernandez Diez), l’objet pictural non figural accroché au mur (Angela de la Cruz), aux objets recouverts de dorure (Hassan Darsi), aux volumes glissés le long des murs sous formes d ecéramique peintes (Irène Van der Mheen) ou aux ouvertures pratiquées dans le mur, spécialité de Christophe Cuzin. Il conviendra de regarder donc ces œuvres de format assez important non seulement en tant que tels mais aussi dans l’espace qui les accueillera et leur prêtera une signification particulière puisqu’ils sont censés fonctionner en empathie les uns avec les autres, sous la houlette fédératrice de Miquel Mont. Par ailleurs à l’espace vidéo ce sont les thèmes du déracinement, du nomadisme et du déplacement qui seront interrogées à partir de la notion du paysage, de la façon dont il est perçu par l’artiste, puis par le spectateur qui en perçoit la vision subjective. Une ouverture vers le Sud : Catalogne, Maghreb et au-delà… BTN