L’EVENEMENT ESTIVAL
LES 30 ANS DU FRAC
Effectivement, ça semble hier, et trois décennies se sont écoulées depuis la mise en place, du temps de l’ancienne gauche, des fonds régionaux censés soutenir le travail des artistes prometteurs, entériner celui des confirmés et apporter au public les connaissances nécessaires à l’approche ouverte de l’art que l’on dit contemporain. Cet anniversaire permettra tout d’abord de suivre la diversité des pratiques privilégiées, des traditionnels à ceux qui ont émergé ou se sont imposés petit à petit. Il s’agira aussi de constater, ou pas, la cohérence de la politique d’achats des trois responsables successifs, sachant que le dernier en place hérite évidemment des goûts ou options de ses prédécesseurs. Et puis, pour ceux qui ont assisté à certaines expositions majeures, il sera pertinent de vérifier la capacité d’émigration des œuvres. On constate que nous avons, dans cette région, des artistes majeurs (Pierre Joseph qui sera exposé à Narbonne (Salle des consuls, où il jouxtera des stars comme Dominique Gonzales-Foerster, Ange Leccia et notre regretté Luc Bouzat), Joa Mogarra présenté au vallon de Villaret (avec Erwin Wurm et J.C. Gagnieux), Saytour à Aniane (Chapelle des Pénitents - avec aussi Rémi Dall’Agglio), Hubert Duprat au Musée de Lodève (Frize, Benchamma, E.Etienne…), Lucien Pélen et Suzanne Lafont à Carré d’art (aux côtés de Boltanski, Natacha Lesueur, Florence Paradeis…). Inversement, on s’interrogera sur la nécessité d’avoir acquis telle ou telle pièce, dont on se demande pour quelle raison elle se retrouve ici plutôt qu’ailleurs. En attendant de visiter toutes ces expositions pour un gros article dans le numéro d’août, signalons la diversité des lieux d’accueil - outre ceux déjà cités - : le Musée archéologique de Lattes (Gigoux-Martin, Marsden…), l’incontournable et inusable LAC de Sigean (Sigurdur Arni Sigurdson, Childress, Castellas, Tapiès…), La pépinière de Vintenac (avec Pipilotti Rist !), la chapelle des pénitents de Mende (Veilhan, Taroop et Glabel). Les ESBA de Nîmes et Montpellier seront sollicitées, ainsi que Salses, Cabestany, le volumineux couvent des Minimes à Perpignan ou l’école d’Archi. Avec la volonté, d’Emmanuel Latreille, de proposer des parcours thématiques cohérents puisqu’il sera question du Grand bleu à Narbonne, d’Images à Carré d’art, de « Flippant time » à Lodève etc. Comme tous les deux ans, de belles promenades en perspective, en espérant la gratuité du parcours, puisque ces œuvres ont été déjà financées par nos impôts. Ainsi les plus modestes, après tout entre temps on est passés à gauche,  pourront-ils acquérir le catalogue… BTN
De Fin juin à Octobre. Renseignements auprès du Frac L-R. 0499742035

L’INTERNATIONALE DU MOIS
VERA LUTTER A CARRE D’ART
Décidément, on aura vu, et conservé, bien des artistes allemands à Carré d’art, sans doute parce que l’Allemagne s’impose en première puissance européenne et que le travail des acteurs du milieu de l’art doit certes s’ouvrir au monde entier mais surtout recenser les singularités pertinentes qui œuvrent sur notre continent. Vera Lutter est une artiste d’autant plus impressionnante que son travail réhabilite les manières anciennes de capturer l’image. C’est la fameuse « camera obscura », sauf qu’à une chambre elle substitue un containeur, ou un quelconque espace, lui permettant d’offrir une vision tout à fait inédite des lieux. Le temps d’exposition est fort long, obligeant l’artiste à habiter littéralement son coin de production, comme s’il s’agissait d’un atelier temporaire. Les feuilles de papier sont aux dimensions de l’espace investi afin de mieux observer le réel et en capturer l’image, qu’il s’agisse de vues de Venise, de complexe industriel voué à Pepsi Cola ou d’aéroports. Le résultat, pourtant issu du réel au premier degré, flirte avec le fantastique. D’abord la photographe, celle qui écrit avec de la lumière sur un papier requis, a choisi de priver ses motifs de toute présence humaine, ce qui leur donne un côté inquiétant, comme chez Chirico ; ensuite le rendu fort nuancé s’apparente à un négatif noir et blanc, transformant les lieux par les effets de lumière surréelle, toute en contraste et en saturation. Enfin le format confine au tableau, d’autant qu’il s’agit de pièces uniques. A Carré d’art, Vera Lutter montrera aussi une série, prise en sept villes, des cycles lunaires, et une vidéo en deux parties suivant l’évolution de la lumière sur un paysage, une journée durant. Comme quoi son travail réclame patience, tant du côté de sa production que de son visionnage par un public conquis. BTN
Jusqu’au 16 septembre, Carré d’art, place de la maison carrée, 30000 Nîmes 0466763570

LA DECOUVERTE DU MOIS
MIKA ROTTENBERG AU FRAC L-R.
Mika Rottenberg s’est fait connaître par ses photos, et surtout ses vidéos de personnages felliniens : des femmes trop grosses, trop grandes, trop chevelues, trop ongulées etc. mais qui ont su faire de leur différence une source d’intégration dans les diverses activités  proposées par société du spectacle. Sauf qu’une telle démarche va à l’encontre des standards de la publicité ou des images stéréotypées mises en exergue par les multiples médias de notre temps. Il n’est donc pas question d’ironiser sur l’apparence grotesque de ce qu’il faut bien appeler, sans connotation péjorative, des créatures monstrueuses, mais plutôt sur la banalisation des images nivelées jusqu’à l’excès. L’artiste met ses modèles en scène dans des rôles qui rappellent leur statut de valeur marchande, dans des manufactures par exemple, ou des usines de confection de produits inattendus. Je pense à ses ongles rouges mis dans des bocaux à l’instar de cerises. Mais Mika Rottenberg va plus loin : elle s’efforce de rendre plus sensible encore cette monstruosité tarifée en concevant ses expositions comme un véritable parcours au sein d’une architecture appropriée. Ainsi sont rendus sensibles les problèmes d’espace vital dévolu à ces femmes, et non moins actrices. A quoi tend tout cela, direz-vous ? Eh bien l’artiste n’est-il pas, par sa différence même, une sorte de monstre qui échappe aux idées reçues avant sans doute d’être conduit à se voir, lui aussi, récupéré par les lois tarifées du marché de l’art ? Et n’est-il pas amené à jouer le rôle que l’on attend de lui (exposer, expliquer sa démarche, jouer le jeu du milieu…) tout comme ces modèles, femmes et actrices, qui acceptent de poser pour lui (ou elle)? On voit que la démarche est loin d’être anodine et ne vise rien moins qu’à définir le statut des créateurs d’aujourd’hui. Pas étonnant que cette exposition  soit le point de départ du marathon des 30 ans du Frac. BTN
Jusqu’au 29 septembre, Frac L-R, 4 rue Rambaud 34000 Montpellier 0499742035

LA RAVIGOTANTE-REVIGORANTE DU MOIS
MARCHER DANS LA COULEUR AU MRAC DE SERIGNAN
Il suffit d’observer la manière dont Daniel Buren, actuellement au Grand Palais, a su habiller l’architecture de verre du Musée de Sérignan pour réaliser quel point ce haut lieu de l’art contemporain dans notre région est habité par la couleur. C’est elle qui lui attribue son cachet si particulier, indépendamment de son contenu. Le même Buren, a réalisé un habitacle dont il a le secret et qui met littéralement en abyme l’apparence vitrée du lieu qui le reçoit, par des chevauchements de plaques colorées qui, par transparence, et grâce à la lumière qui les pénètre, propose une symphonie concrète de couleurs raffinées. Il n’est donc guère étonnant de retrouver Buren dans cette exposition estivale, au titre éloquent : Marcher dans la couleur, emprunté à un autre magicien du genre, James Turell. Cet artiste génial vous plonge dans l’obscurité avant de vous laisser percevoir graduellement, comme au sortir d’une nuit sans lune, un écran phosphorescent qui se révèle une véritable scène, entièrement peinte en creux. A ces deux grands noms, on peut d’ores et déjà en adjoindre un troisième, celui d’Ann Véronica Janssens, dont l’œuvre s’appréhende avec tout le corps, déboussolé sans le moindre repère dans un espace où se répand une opaque fumée colorée. A Sérignan, elle aura fait apparaître, d’un brouillard mystérieux, une étoile impalpable, suspendue dans l’espace comme par magie. Veit Stratmann laisse le choix entre marcher ou pas sur ses moquettes rectangulaires de couleurs diverses, à appréhender comme un jeu sautillant. Mai Then Perret sollicite également le corps en nous invitant à glisser dans un labyrinthe sculptural rythmé de signes géométriques. Félice Varini nous plonge d’emblée, dès l’entrée, dans un bain de sensations inédites tandis que Jessica Warboys, demande à la mer toute proche, et au vent qui titille les vagues, de laisser leurs traces sur des surfaces peintes. Une exposition riche en impressions rétiniennes certes mais surtout physiques et kinesthésiques, dont on devrait ressortir rasséréné, comme quand on renaît, après un bain de jouvence. BTN
Du 1er juillet au 28 octobre, MRAC, 146, avenue de la plage, BP 34410 Sérignan 0467323305

LA CURIOSITE DU MOIS
MICHEL FRANCOIS AU CRAC (SETE)
Quand on sait combien le Crac aime fragmenter son espace en plusieurs identités bien marquées, le fait de ne retenir, pour l’exposition estivale, qu’un seul artiste ne peut qu’aiguiser notre curiosité. C’est que Michel François s’est engagé dans une démarche dite globale, avec la volonté d’expérimenter sans cesse la signification des matériaux dans un certain ordre assemblés. D’autant que le lieu d’exposition, où s’intègrent les pièces confectionnées, en modifie sensiblement l’appréhension et donc le sens à lui prêter. Ainsi, peut-on, à propos de Michel François, évoquer une pratique nomade : le lieu d’exposition  détermine l’interprétation de ce qu’il faut bien, faute de mieux, nommer encore sa « sculpture » ; d’autre part les matériaux s’avèrent sans cesse recyclés dans des présentations parfaitement inédites. Un lieu aussi volumétrique que le Crac se prête bien à cette boulimie inventive : conjuguer un fantôme de chaise avec du pissenlit, installer des pavillons de verre garnis de pâte modelable et colorée, étendre le long des murs des papiers froissés, jouer une heure durant, dans une vidéo, avec les effets lumineux d’une feuille d’aluminium, offrir au public des photographies mises en affiche comme si ce dernier avait le droit d’expérimenter ailleurs l’effet visuel déjà perçu sur les murs… Quand on sait, de surcroît, que Michel François aime à revisiter l’Histoire de l’art, et notamment les lois de la perspective, on imagine la surprise que devrait être le parcours inattendu qu’il nous aura proposé. D’autant qu’il ne semble reculer devant aucun matériau virtuellement « sculpturable », dont l’exploration, conjointe à un autre, produit une signification variable… BTN
Du 29 juin au 30 septembre, au Crac de Sète (34200), 26 Aspirant Herber, 0467749437